Pèlerinage :
« Voyage que l'on fait en un lieu avec l'intention de se recueillir ou visite que l'on rend à quelqu'un que l'on admire, à qui on veut rendre hommage ou dont on vénère la mémoire » (source).
Comme une fois n'est pas coutume, ce sont les questions de mes proches qui m'ont fait réfléchir. Ils m'ont demandé ce que j'avais prévu de faire en Écosse, pourquoi je retournais toujours là-bas, ou encore ce que j'allais y chercher. Je vous ai décrit en partie pourquoi j'aime ce pays (ici), mais j'avais beau vouloir leur répondre, je n'arrivais pas à trouver de réponse correcte. Y'a-t-il une bonne réponse à ce genre de questions, me demanderez-vous. Je vous dirais que oui, et qu'elle est propre à mon histoire. Le fait est que je n’ai pas vraiment su comment répondre alors qu’il y avait plusieurs choses pour lesquelles j’étais certaine. En effet, je savais que je voulais revoir des endroits qui m'étaient chers, je savais que j'avais besoin de me ressourcer, et de me reconnecter à moi-même. Mais il m’était impossible de mettre un mot dessus.
J'ai passé la première semaine complètement paumée. Pourtant, je n'étais pas perdue dans cette ville que je connais bien maintenant. Je sais me repérer, je reconnais chaque coin de rue et même quelques raccourcis, ou "close" comme ils les appellent. J'ai d'ailleurs dès le premier jour marché jusqu'à un monument, puis jusqu’au suivant ; puis jusqu’à un autre endroit qui compte pour moi, puis encore un autre. J'ai fini par faire dix kilomètres sans m'en rendre compte, avec à chaque étape une seule chose en tête : revoir un endroit qui m'a fait me sentir heureuse, ou juste en paix. Lorsque j’en avais vu un et que je ne savais pas quoi en faire à part sourire bêtement et chercher le contact, comme si je revoyais un être cher – les gens autours ont dû me prendre pour une allumée –, je passais au suivant.
Dès le lendemain, je me suis levée tôt pour assister au lever du jour, espérant que le ciel soit dégagé – c’était un besoin impérial à ce stade –, depuis cette espèce de reproduction de l’Acropole non terminée qui trône sur Calton Hill. On en a vu passer des lever de soleil ici, avec les amis de mon premier voyage, et des couchers de soleil aussi, toujours avec Arthur's Seat dans le paysage. On en a eu des rires et des pleures à cet endroit-ci ; mais à chaque fois, je me retrouvais avec un sentiment de bien-être auquel n'importe qui pourrait devenir accro.
Ensuite, plus rien. Les deux jours suivants, je les ai passés au lit, sans vraiment comprendre pourquoi je n'arrivais pas à me lever et profiter de la lumière du jour pendant qu'elle était là. Le soleil se couchant avant seize heures, je savais qu'il fallait sortir pour en profiter pleinement. Tout de suite. Mais je n'y arrivais pas. Et j'ai passé deux jours comme cela à ruminer. Je croyais pourtant avoir eu besoin de venir là, besoin de faire une pause, de voir Édimbourg, les copains qui vivent encore là, l’Ecosse... J'en suis venue à me demander ce que je faisais là, réellement.
Et puis j'ai compris. Dans cette auberge, personne ne me connaît encore. À part le gérant qui me voit revenir chaque année et qui me traite comme un invité de marque – probablement pour cette raison – que je peux facilement éviter si je ne vais pas jusqu'à la réception lorsqu'il est là. Je n'ai pas besoin de parler à qui que ce soit. Je n'ai pas de rôle à jouer, je n'ai pas à prétendre quoique ce soit.
La vérité est que j'étais épuisée, au point que me lever pour me doucher et manger devenait ma seule porte de sortie de ce lit-aspirateur. Il n'avait rien de spécial pourtant. Un lit simple, superposé, dans un dortoir qui en contient huit. Mais voilà, en me rendant compte de tout cela, j'ai fini par me vider de mes larmes qui attendaient depuis des semaines de pouvoir enfin sortir. J'ai pleuré, j'ai laissé couler, je me suis laissée aller. Et dans ce moment, je me suis sentie bien. Ensuite, j'ai continué à m'isoler, mais sans culpabilité cette fois. Deux jours en plus de repos complet.
Et puis j'ai décidé de partir. Pas à l'aventure non, pas vraiment. Simplement dans une autre ville, sortir de la capitale, sortir de mon lit. Je suis allée passer la journée à Dundee. Mais, qu'y a-t-il donc à faire là-bas ? J'ai même eu une dame qui attendait le bus avec moi – elle, rentrait chez elle – qui m'a dit : « vous devez être la seule à venir ici pour le plaisir alors que vous avez déjà visiter la ville ! » avec son charmant accent écossais. Pourtant pour moi, il y avait plein de choses à faire. Marcher en chantant à tue-tête seule sur la plage de galets, traverser le pont entre la rivière et la mer, manger des curly fries au Phoenix... Et là, ça m'a frappée. Je n'étais pas là pour faire du tourisme, ni pour montrer au monde via les réseaux sociaux à quel point je passais un bon moment, ni à quel point ce pays est beau et mérite d'être visité. Il l'est, bien-sûr, mais cette fois – la troisième fois – je n'étais pas là pour cela.
J'étais en pèlerinage.
Les choses qui m'ont le plus marquée ici me sont propres, et ce sont de ces choses dont j'avais besoin. Ce sont de ces choses dont je rêvais lorsqu'on me demandait ce que je comptais faire là-bas. Je voulais revoir tous les endroits que mon cerveau avait associé à du bonheur pur lors de mon premier voyage qui a été salvateur pour moi.
Je voulais être sauvée à nouveau.
Réaliser ceci a changé la face de mon voyage. À partir de là, j'ai réussi à quitter mon lit pour rejoindre des amis ou gravir la petite montagne de la ville. Un jour sur deux, je restais dans ma chambre, au calme, à écrire, réécrire, corriger, m'isoler. L'autre jour sur deux, je marchais des kilomètres et des kilomètres et profitais pleinement de chaque instant. À la fin, j'ai même réussi à me sociabiliser avec des inconnus travaillant dans l'auberge, comme au bon vieux temps. D’ailleurs, j'ai fini par rester dans la grande salle commune pour écrire car cette fois, je n'étais plus contre le fait d’être dérangée pour avoir de profondes conversations sur le monde, l'écriture, le féminisme, être adulte... avec de parfaits inconnus.
Et désormais, en chemin pour rentrer, je me dis que je sais enfin quoi répondre aux questions de mes collègues et amis qui attendront de savoir ce que j'ai fait là-bas : j'ai vécu, je me suis reposée. J'ai fait mon pèlerinage.
Wilaukee S.