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Lucile

(2016)

​Je ne vois plus rien, tout est sombre autour de moi. Comment ai-je pu en arriver là ?

​Je me souviens seulement être allée chez ma meilleure amie Lisa, d'avoir parlé longtemps et depuis, plus rien. Pourtant je ne pense pas m'être endormie, j'avais bien trop de choses en tête... ​Je ne reconnais même pas sa chambre. Sommes-nous sorties hier soir ? Ou peut-être que c'était tout à l'heure, je ne sais plus, je perds complètement la notion du temps. Les questions se bousculent dans ma tête, mais qu'est-ce qu'il a bien pu se passer bon sang ?!

         La lumière s'allume et me tire de mes songes, une silhouette s'approche de moi rapidement. J'ai envie de hurler, de supplier, d'appeler à l'aide car je ne connais pas cet homme. Impossible, ma bouche est scellée avec de l'adhésif. J'essaye aussitôt de l'enlever, en vain.  Il tente de m'immobiliser les bras, je me débats quand un autre homme entra dans la pièce dépourvue de toute décoration. « Aide-moi, tiens-lui les mains, laisse-moi l'attacher, c'est une vraie sauvage. » Dit le premier.

​L'autre lui donne une corde fine et le premier entreprend sa démarche. Je me débats toujours, en espérant pouvoir la défaire. Du moins, j'essaye mais ils sont bien plus forts que moi. Tu parles, du haut de mes 1m57 et de mes 45 kilos, je n'ai aucune chance. Maintenant attachée et bâillonnée, ils me soulèvent du matelas où ils avaient dû me laisser la veille.

 

​Mes craintes sont sur le point de se confirmer. Je viens de me rendre compte que je n'avais pas mon portable, évidemment... C'est dans ce genre de situation que l'on pense à ces épisodes de séries policières qui commencent toujours mal, avec le meurtre d'une joggeuse dans la forêt ou d'une mère de famille, assassinée dans sa propre maison ; ou encore d'une adolescente disparue puis retrouvée, perdue dans les bois, violée et battue à mort par un de ces psychopathes qu'ils aiment inventer. Mais les psychopathes existent aussi dans la vraie vie, et je crains de devenir cette adolescente...

​Ce genre de pensées vous refroidit d'un coup, et enlève tout espoir.

​Ils m'ont jetée dans une camionnette noire comme un vulgaire sac poubelle. Mais qu'est-ce qu'ils veulent de moi à la fin ??

​Le deuxième, le plus grand et le plus costaud vient, délie les cordes de mes pieds et enlève sans délicatesse le gros scotch de ma bouche. Il prend cependant bien soin de garder mes mains liées, « pour que je ne me rebelle pas », dit-il. À ce moment, je veux dire énormément de choses, comme une muette qui aurait recouvré la parole, mais je me tais. Tout en affichant une mine dégoûtée et montrant, bien malgré moi, à quel point j'ai peur. Je lutte pourtant car leur donner un sentiment de toute puissance et de supériorité est bien la dernière chose que je veux faire, même si c'est déjà un peu le cas. Je n'ai même pas remarqué que nous avions bougés. Et pour cause, toute cette histoire m'intrigue et m'étourdit, je me pose mille questions à la seconde sans pouvoir même répondre à une seule. Les deux hommes me disent de sortir du véhicule. Le cœur battant à tout rompre, je descends. Une boule se forme dans mon abdomen. Je suis terrorisée.

 

 

​Étonnement, je n'ai pas été amenée dans un vieux hangar abandonné ou une usine désaffectée, ce genre de choses auxquelles j'ai pu penser. Au contraire, on m'a emmenée dans une sorte de petite maison, à priori vide.

​J'entre dans cette maison "escortée" par mes deux kidnappeurs. Par précaution, le plus fin me fait pénétrer cet endroit très sombre en me tenant fermement par le bras. Le suspense est insoutenable, la peur me poursuit. Je dois malgré tout prendre mon courage à deux mains liées et affronter la réalité. Le grand allume la lumière, je n'en crois pas mes yeux.

–       … Lucile ? Oh mais oui c'est toi !

Ma meilleure amie se rapproche de moi, un peu hésitante pour me faire un câlin.

–       Calmez-vous, vous deux ! Asseyez-vous et buvez ça.

–       Qu'est-ce que c'est ?

–       Vous n'avez pas bu depuis des heures, buvez l'eau qu'on vous a apporté et mangez aussi. Vous êtes toutes pâles, il ne vous aimera pas comme ça. Dit le plus petit des deux.

–       Mais de quoi est-ce que vous parlez ?? Dis-je, effrayée.

–       Pourquoi sommes-nous là ? Enchaîna Lisa.

Ne plus être toute seule me donne des ailes, et j'essaye de me rebeller, ce qu'ils avaient tenté d'éviter, mais sans succès malheureusement.

–       Ne parle pas, bois et mange. Répondit-il, le plus froidement possible.

​Je ne dis plus rien. Lisa non plus. Le plus fin part et nous buvons ce qu'il a affirmé être de l'eau. L'autre quitte la pièce à sa suite en fermant la porte à double tour. Une fois sûres qu’ils sont partis, nous jetons les verres dans le plateau, décidées à leur tenir tête le plus longtemps possible.

 

–       Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ? Qu'est-ce que tu as à la tête ? Lui demandais-je, inquiète.

–       C'est rien, j'ai trébuché en venant ici et je suis tombée, tu sais à quel point je suis maladroite...

Je ne crois pas mon amie. J'avais des doutes mais son petit rire forcé à la fin a fini de me convaincre qu'elle me mentait, sûrement pour que je ne m’inquiète pas. Je crains que l'on se fasse surprendre mais je dois lui demander quand même.

–       Qu'est-ce qu'il s'est réellement passé Lisa ? Est-ce qu'ils t'ont fait tombée ?? Ou frappée ?? Comment en est-on arrivées là ? Explique-moi si tu sais quoique ce soit, je ne comprends rien, je suis complètement perdue...

–       Laisse tomber, je te dis que ma maladresse a causé cette bosse. Et je ne sais pas vraiment ce qu'il s'est passé non plus, ni ce qu'on fait là et pourquoi. Je pense qu'ils nous ont droguées. Comment, je ne sais pas, mais j'en suis sûre. On a passé la nuit je ne sais où avec je ne sais qui mais ce que je sais, c’est que je me suis réveillée dans un endroit que je ne connaissais pas et que tu n'étais plus avec moi. Est-ce que tu as peur ?

–       Plus maintenant que nous sommes ensemble.

Elle me prend dans ses bras.

 

​On entend un bruit de serrure et nous nous voyons obligées de mettre fin à notre étreinte. Le plus grand des deux prend la parole.

–       Vous êtes prêtes ?

On se regarde, surprises.

–       Vous n'avez rien mangé !

Nous nous regardons à nouveau avec Lisa, cette fois, comme pour nous donner du courage. Nous n'avions pas l'intention de leur faire confiance. Nous ne savions pas ce qu'ils auraient pu mettre dans la nourriture.

–       Je suppose que ce n'est pas la peine de vous demander où est-ce que vous nous emmenez... Dit-elle.

–       T'as tout compris gamine, maintenant ferme-la. Lui répondit-il. Elles ne sont pas si connes en fait. Dit le grand musclé, à son compère, qui lui adressa un regard noir. J'ai l'impression qu'il est le chef.

 

 ***

​En chemin, nous surprenons une conversation étrange entre les deux hommes, dans la camionnette où ils nous ont installées à l'arrière, sans ménagement aucun.

–       Roule plus vite putain, on va être en retard ! S'exclama le plus grand des deux.

–       Ça va, t'inquiète pas ça va aller. Par contre, c'est si tu continues à me parler comme tu le fais que ça pourrait ne pas aller.

–       Mais putain mais mec, tu sais bien qu'à une seconde près c'est foutu. Il veut les voir mourir devant lui. Tu sais bien que s'il ne les voit pas mourir, il n'en veut pas, et on va encore devoir tout recommencer avec deux autres. J'ai pas envie de faire trois fois le même boulot, en étant payé que pour un. J'ai une famille moi merde !

–       Si elles ont bu ce que je leur ai donné, tout va bien se passer. Tu les as vu boire, n'est-ce pas ?

–       Oui bien sûr ! Enfin t'es parti avant t'as pas vu mais elles étaient en train de boire quand je suis parti aussi, j'ai supposé qu'elles allaient tout boire...

–       … Tu as... "supposé"... ? Tu devais rester jusqu'à ce qu'elles aient au moins fini de boire.

​Lisa et moi sommes à la fois concentrées sur la conversation et consternées par ce qu'on entendait. J'essayais de refréner des cris de stupeur. Qu'est-ce qu'on a bu ? Ils veulent nous tuer ? Mais qu'est-ce qu'on va faire ? Pourquoi ? Et s'il était déjà trop tard et que ce qu'on a bu était déjà en train de nous tuer ? Je me suis tournée vers Lisa pour voir si elle présentait des signes inquiétants. Ce n'était pas le cas, ni pour elle, ni pour moi. Alors qu'est-ce qu'il se passe ? J'ai l'impression que cette question me revient au moins cinquante fois par minute. Si ça se trouve il y a plusieurs heures de route et ils nous regarderont trépasser, heureux comme des moines d'avoir rempli leur mission ??

​La camionnette s'arrête d'un coup, en plein milieu de la route et dans un crissement de pneu assourdissant, ce qui me sort de mon effroi immédiatement.

​Lorsque j'ai arrêté d'écouter leur conversation, leurs voix étaient très tendues, ils se retenaient de ne pas hurler pour qu’on n’entende pas. Ils doivent croire qu'on est assez assommées par ce que nous avons bu pour ne pas percevoir ce qu'ils disent, sauf que ce qu'ils ne savent pas c'est que l’on n’a pas tout bu leur soi-disant "eau". Maintenant, leurs voix ont changé. Celle de celui que je crois être le chef est devenue menaçante et celle de l'autre, suppliante.

–       Fais-moi confiance pour une fois bordel... je te dis que je suis sûr qu'elles ont tout bu...

–       Tu m'as dit ça la dernière fois et résultat, on les a perdues, on a dû les remplacer par deux autres filles. Il sait déjà que ce ne sont pas celles dont on lui a parlé au départ, alors ne me met pas encore plus la pression, si elles ne lui plaisent pas, il ne nous donnera pas de troisième chance et on ne repartira pas cette fois. Et tu te plains que tu ne seras peut-être pas payé ? Réfléchis un peu.

–       Qu'est-ce que tu veux faire là ? M'abandonner sur la route et les présenter tout seul, il ne va pas me laisser m'en tirer comme ça, tu le sais. Ne me laisse pas comme ça dans la merde putain. Fais-moi confiance bordel !

–       …

–       Tu nous fais remarquer à t'arrêter comme ça … Tu sais que je suis désolé pour la dernière fois, je me suis bien rattrapé...

​Il redémarre sans rien dire de plus. L'autre aussi s'est tu. Le silence règne dans l’habitacle, et moi, je suis de plus en plus horrifiée par ce que j'entends, était-ce nous les filles dont il parlait ?

 

  ​Je me souviens maintenant. De ce que disaient mes parents une fois à table, chez moi...


​Deux adolescentes avaient disparu, enlevées dans une camionnette noire et ont été retrouvées deux jours plus tard, dans une maison abandonnée et toutes délabrées, affamées mais saines et sauves. Le traumatisme, d'être resté plusieurs jours toutes seules en pleine nature et sûrement des tas d'autres horribles choses, a été tel, qu'elles n'ont rien pu dire sur ce qu'il s'était réellement passé. Il ne me fallut pas longtemps pour faire le rapprochement : la maison abandonnée, le cours laps de temps, le traumatisme, le lieu et le fait que tout s'est passé en fin de semaine dernière... Elles avaient pu dire quelques jours plus tard dans le journal, tout en restant très vague, qu’« un psychopathe se créait des maisons de fausses poupées un peu trop réalistes. » Je compris vite que nous étions les filles censées les remplacer et qu'ils cherchaient un moyen de nous tuer pour nous ajouter à sa collection, et nous ont trimballées de maison en maison pour déterminer l'endroit qui nous conviendrait le mieux pour être exposées une fois mortes et empaillées comme de vulgaires trophées d'animaux sauvages.

​Un cri d'effroi sortit de ma bouche malgré mes efforts pour l'étouffer. Le grand costaud avait oublié de nous remettre du scotch mais on avait fait attention à bien rester silencieuse pour qu'ils ne le remarquent pas. Maintenant c'est trop tard. Le conducteur freine à nouveau brusquement et les deux se retournent presque immédiatement et me toisent avec insistance...

 

​Mais qu'est-ce qu'il va nous arriver ? Il faudrait que l'on arrive à trouver un moyen de s'échapper de ce guêpier pendant que la substance qu'ils nous ont fait boire ne fait toujours pas effet... Mais comment faire maintenant que j'ai attiré l'attention sur nous ?


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(2016)

Wilaukee S.

Wilaukee S. 22 octobre 2024
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Souanie